Le commandant Flahaut revient dans une sixième enquête. Comme souvent, ses investigations débordent du cadre professionnel et l'emmènent à s'intéresser à un mystérieux château dans la forêt de Compiègne. II y croise sa collègue, Gillian Carax, dite La panthère....
Cochon qui s’en dédit
Quand les sorciers de la manipulation génétique perdent les pédales
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Dimanche, 10 septembre
– Monsieur Valberg, écoutez-moi. Je sais que votre cerveau fonctionne, parfaitement, même si vous ne pouvez plus parler. Fornier, mon assistante vous a déjà exposé l’urgence de la situation. Fornier ! Où est-elle encore ? Vous avez expliqué à monsieur… Heu… Valberg ? Bien… Je reconnais que le mot « cochon » peut faire tiquer. Mais je vous assure que les organes de ces animaux sont d’une fiabilité extraordinaire, bien plus que ceux de n’importe quel donneur humain. C’est bien simple, ces bêtes vivent sous chambre stérile depuis leur conception. Alors qu’avec un donneur humain on n’est jamais à l’abri d’un accident, d’une contamination inconnue… De toute façon, on n’a rien d’autre sous la main… Vous avez cinq minutes pour m’autoriser à faire ces trois greffes, après, il sera trop tard…
Quel baratineur, ce Manguélé ! Je le sais que je suis foutu. J’aurais pas dû faire le con sur ma moto. Décider quoi ? J’ai pas le choix puisque je risque de mourir.
– … car je suis sûr que vous accepterez cette prodigieuse chance de survie que je… Que la Science, et mon équipe en l’occurrence, nous vous offrons… Voilà, il ne reste plus qu’à signer ces papiers. Mon assistante… Fornier ! Qu’est-ce qu’elle fout encore ? Allons, tenez-lui le stylo à monsieur… Heu, comment déjà ? Valberg, oui c’est ça. Je file vérifier la salle d’opération. À tout de suite !
Vendredi 13 octobre
– Monsieur Valberg ! Alors, le grand jour est arrivé, vous venez faire signer votre bon de sortie… Je plaisante, Pierre. Je peux vous appeler Pierre n’est-ce pas ? Vous êtes comme un fils à qui j’aurais donné… Je veux dire « redonné » la vie, ha, ha ! J’ai suivi tous vos progrès… De loin, je suis si occupé… On m’a tenu au courant du moindre incident. J’ai été… Toute l’équipe a été formidable.
– C’est vrai, professeur Manguélé. Je n’en reviens pas moi-même. Vous m’avez sauvé la vie.
– Bien… Mais votre voix… C’est curieux non ? On dirait que ça grince. Ça couine plutôt… Bah, l’essentiel est qu’on vous comprend. Le larynx de porc fait des merveilles. On a dû vous dire qu’à six mois le larynx du goret ne présente pratiquement aucune différence avec celui de l’homme… Enfin à peu de choses près… Étonnant non ? Après ça se gâte… Enfin je veux dire… Je vois que vous riez. Vous manifestez un moral étonnant. Et cela nous a fortement aidés. Si, si, je le dis comme je le pense : vous avez été un malade exceptionnel. Je ne vous cache pas que les chances de réussite étaient minces… Bien minces… Mais tout ça c’est du passé. Nous allons fêter cette réussite mondiale, car c’en est une. J’ai prévu un cocktail dans… Comment Fornier ? Parlez plus fort, je ne vous entends pas.
– Pierre ne peut plus boire d’alcool, professeur. Le foie de… Enfin son nouveau foie ne lui permet pas. Aussi, sur sa suggestion nous avons supprimé la petite cérémonie. Il désire partir tout de suite, ses bagages sont prêts.
– C’est fâcheux ! J’avais convoqué la presse internationale, la télévision. Vous êtes sûr que ?… Vous pourriez boire un jus de fruit, Valberg… Fornier, Vous avez bien prévu un peu de jus de fruit ?
– Non merci professeur Manguélé. N’insistez pas. J’ai hâte de rentrer chez moi, de retrouver ma famille, ma fiancée.
– Vous en avez de la chance d’être si bien entouré ! Tout compte fait, cette épreuve aura eu du bon, hein Pierre ! Ça vous soude une famille… Bon, puisque la presse ne vient pas, moi, je file, d’autres malades m’attendent. On se revoit le mois prochain. Fornier, vous avez noté le prochain rendez-vous ?
Lundi 15 janvier
– Ah, Paul Valberg ! Mon miraculé ! Entrez cher ami… Comment ?
– Pierre, professeur, je m’appelle Pierre.
– Mais oui, suis-je distrait ! Alors comment se passe… Tout ça… Mmm ? Montrez-moi ça… Les électrocardiogrammes sont nickel… Les analyses aussi. La Ciclosporine, à quelle dose aujourd’hui ?
– Toujours à 4 prises par jour. Avec les antibiotiques, ça me fait 27 cachets à avaler quotidiennement. Et ça, à vie. Enfin… pour quelques années. Je me suis laissé dire qu’un foie greffé ne tenait pas plus de dix ans.
– Taratata… La Science fait des pas de géants tous les jours, mon jeune ami. Il faut avoir confiance ! Vous savez que vous êtes devenu célèbre. Aux USA on ne parle que de moi… Heu, de votre cas, je veux dire. Vous n’avez pas lu les journaux ? Je vous en enverrai. Fornier, faites-m’y penser… Qu’est-ce qu’elle a encore, celle-là ! Plutôt que de secouer la tête bêtement, notez-le sur votre calepin. C’est en américain, évidemment, mais quelqu’un vous les traduira bien, ces articles.
– Tous, heu, monsieur le professeur ?
– Comment tous, Fornier ? Pourquoi pas tous ! Vous êtes bête ou quoi ? Monsieur a droit, lui aussi, à sa part de gloire. Quoi ? Parlez plus fort… Mais oui, même celui-là, arrêtez de me contredire.
– Il y a un problème avec ces revues professeur Manguélé ?
– Pensez-vous ! Simplement ces américains sont un peu chatouilleux du côté de la religion. Alors vous imaginez : un cœur, un foie, une trachée de porc chez un homme, ça les fait frémir. L’église se demande si vous êtes encore un homme, avec une âme… Ridicule ! Autant que vous l’appreniez de ma bouche, hein Valberg ! Qu’on en rit ensemble. Ha, ha, ha… D’ailleurs, à ce propos, ça marche ?
– À quel propos professeur ?
– Du côté cœur… Enfin, vous voyez ce que je veux dire ! Allons, entre nous pas de cachotterie. Votre petite amie, hein, qu’est-ce qu’elle en dit ? Elle ne serait pas plutôt stimulée, hein ? Entre nous, elles aiment ça, non ?
– C’est-à-dire… Le psychiatre m’a beaucoup aidé… Enfin, on ne peut pas se plaindre… Je suis en vie.
– Mais bien sûr ! Vous le prenez du bon côté, je vous en félicite. Vous savez qu’elles sont charmantes, ces petites bêtes. Affectueuses et très propres, quoi qu’on en dise. Et puis, avec des gènes humains dans le corps, ce ne sont plus tout à fait des porcs. On dit : la Nature… Mais la Nature, elle est toujours en évolution… Quelques cellules dans un fœtus et hop ! On change le cours des choses. C’est la fraternisation universelle. Ces gorets s’apprivoisent très bien. Au laboratoire, on leur donne des noms. Il y en a un surtout, un excellent reproducteur. On l’a appelé King-Kong. Figurez-vous qu’il s’est pris d’affection pour une infirmière… Il adore qu’elle le flatte, qu’elle le brosse, c’est à se tordre… Un verrat de toute beauté. Puissant, vindicatif… Il a une paire de… Comme ça, mais alors sans exagérer, comme ça ! Si le cœur vous en dit, je vous emmènerai visiter le laboratoire… Il paraît qu’un verrat, ça bande tout le temps.
Évidemment, nous, avec tout ce boulot… Et puis à nos âges… Vous savez que je vous envie mon cher, mais oui, car vous devez fatalement avoir hérité, en partie, de ce… Vous me comprenez ? De cette vitalité animale qui plaît tant aux femmes. Fornier ne vous contredira pas. Hein Fornier ? Mais ne rougissez pas bêtement comme ça… Quelle pimbêche !
Revenons à nos moutons, à nos verrats plutôt, ha, ha, ha ! Oui, je vous disais que j’ai singulièrement baissé, mon cher. Et ce n’est pas faute d’avoir changé de partenaire, Fornier pourrait vous le confirmer. C’est qu’il en passe du joli monde à la clinique, mais ça me tente moins… Je me demande si je ne ferais pas bien de me greffer aussi… La totale, le service trois pièces quoi ! Non mais, regardez-moi les yeux qu’elle fait, cette gourde. Allez, c’est décidé, je me programme ça pour la rentrée. Cochon qui s’en dédit !
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